Résumé du postulat
Les postulants considèrent que le statut juridique des personnes concernées ne permet pas d’accéder à l’éducation, à la santé, à la justice ou au marché du travail. Les villes sont de plus en plus concernées par les problématiques liées à la régularisation. Ces personnes sont démunies dans les situations de la vie quotidienne, car incapables d’exercer leurs droits fondamentaux garantis par la Constitution.
Pour remédier à ces difficultés, les postulants demandent au Conseil communal d’étudier la possibilité d’introduire une carte d’identité pour les sans-papiers à l’image de la City Card envisagée à Zurich et d’étudier les possibilités de collaboration avec d’autres villes suisses.
Réponse du Conseil communal
1. Cadre légal et compétences
Le droit matériel des étrangers relève de la compétence de la Confédération: l’article 121 alinéa 1 de la Constitution fédérale (Cst) prévoit que la législation sur l’entrée en Suisse, la sortie, le séjour et l’établissement des étrangers et sur l’octroi de l’asile relève de la compétence de la Confédération. L’exécution de la législation fédérale qui en découle, en premier lieu la Loi fédérale sur les étrangers et l’intégration (LEI), relève des autorités cantonales (Service de la population et des migrants – SPoMi dans le canton de Fribourg) et fédérale (Secrétariat d’Etat aux migrations, SEM).
A contrario, il en découle que les communes et la Ville de Fribourg en particulier ne disposent pas de compétence en matière de droit des étrangers.
2. Carte d’identité communale, sécurité des sans-papiers, régularisation
Le postulat évoque la création d’une carte d’identité communale pour la sécurité des sans-papiers; il mentionne également que les villes sont principalement concernées par les problématiques liées à la régularisation.
Il ressort du cadre légal actuel que la Ville de Fribourg ne dispose pas de compétences pour créer une forme de "carte d’identité". L’avis de droit demandé par la Ville de Zurich mentionne toutefois qu’une commune pourrait, le cas échéant, se doter d’un cadre légal permettant la création d’une telle carte. Toutefois, une telle carte ne saurait induire une forme de sécurité pour son titulaire. Elle ne saurait en effet le prémunir contre des mesures prises par les autorités d’exécution. Quant à la question de la régularisation des étrangers, elle relève également des collectivités publiques supérieures.
Nous considérons qu’une telle carte, si elle devait intégrer le caractère "officiel" d’une pièce d’identité émise par la Ville de Fribourg, risque au contraire de donner un message trompeur à son titulaire, en créant un sentiment de fausse sécurité.
Enfin, l’aspect "identité" nécessite également l’identification de la personne avec certaines de ses caractéristiques (par exemple nom, prénom, date de naissance, nationalité, lieu de vie, caractéristiques physiques) ainsi que le contrôle et la saisie des données dans le document et dans une base de données. Ces aspects soulèvent des questions pratiques, de compétence et de protection des données.
3. Accès aux prestations mentionnées par les postulants
Les postulants indiquent que les sans-papiers ne peuvent pas accéder à l’éducation, à la santé, à la justice ou au marché du travail – le postulat cite également l’accès au logement. Démunis, ces derniers seraient dès lors incapables d’exercer leurs droits fondamentaux garantis par la Constitution.
De manière générale, les droits fondamentaux figurant aux articles 7 et suivants Cst sont garantis pour l’ensemble de la population se trouvant sur le territoire, indépendamment du statut de séjour. Leurs conditions d’exercice sont en revanche variables.
L’accès à l’éducation obligatoire, de l’école enfantine au cycle d’orientation, est ancré à l’article 62 Cst. Même si l’enfant ou ses parents ne disposent pas d’un droit de séjour, la fréquentation de l’école est permise, gratuitement et sans restrictions. L’école n’informe pas les autorités compétentes de la présence d’enfant sans titre de séjour. Cette prestation est actuellement fournie en Ville de Fribourg indépendamment d’une "carte d’identité" communale.
L’accès à la santé passe principalement par une couverture d’assurance obligatoire des soins sous le régime de la Loi fédérale sur l’assurance-maladie (LAMal). L’article 117 Cst et l’article 3 LAMal permettent et même obligent l’affiliation LAMal de toute personne résidente, y compris pour les étrangers sans droit au séjour. L’assureur ne peut pas refuser la couverture d’assurance. Mais cette couverture a un coût: le paiement des primes, participations et franchises sont à la charge de l’assuré, qui en est responsable. Le Service de l’aide sociale de la Ville fournit une aide administrative et personnelle pour affilier toute personne qui en fait la demande ou dont elle apprend le défaut d’assurance. Si elle ne dispose pas de moyens suffisants, elle peut demander un subside pour le paiement des primes LAMal auprès de la Caisse cantonale de compensation. En pratique, l’octroi de cette prestation peut être fortement compliqué voire empêché par l’absence d’avis de taxation fiscale, ce qui est en principe le cas pour un étranger sans droit au séjour. Une prestation d’aide sociale pour le paiement de tout ou partie des prestations LAMal peut être accordée au titre de l’aide d’urgence, si la personne prouve son indigence. Dans ce cas, le Service social est tenu d’aviser le SPoMi de l’aide financière versée (art. 97 LEI). Il faut préciser que, pour les étrangers sans titre de séjour, le Service de l’aide sociale doit adresser toute demande d’aide financière au Service cantonal de l’action sociale (SASoc; art. 8 de la Loi cantonale sur l’aide sociale) et non pas à la Commission sociale; une "carte d’identité" communale ne lierait donc pas le SASoc. Enfin, les personnes peuvent accéder à des soins en nature auprès de l’association FriSanté active en Ville de Fribourg. Ces prestations, à savoir l’affiliation LAMal et l’accès à FriSanté, sont actuellement accessibles indépendamment de l’existence d’une "carte d’identité" communale, aux conditions fixées par la LAMal, la LASoc et la LEI.
L’accès à la justice est possible indépendamment du droit au séjour et relève des règles de procédure (qualité pour agir, compétence à raison de la personne, du lieu et de la matière). En tant que commune, la Ville de Fribourg n’a pas d’influence sur les conditions d’accès des justiciables aux tribunaux. L’octroi d’une "carte d’identité" n’aurait ainsi pas d’effet auprès des tribunaux.
L’accès au marché du travail et au logement relève avant tout des relations de droit privé, sur lesquelles la commune n’a pas de prise – sauf en tant qu’employeur ou bailleur. La LEI fixe également des obligations claires aux employés et employeurs, ces derniers devant s’assurer que les premiers cités disposent bien d’une autorisation d’exercer une activité pour être engagés (cf. 18 et suivants et 89 et suivants). Le logeur est aussi tenu de déclarer l’étranger au SPoMi (cf. art.16). A défaut, des sanctions pénales sont prévues (cf. art. 115 et suivants LEI). La marge de manœuvre d’une commune est ainsi très réduite. L’octroi d’une "carte d’identité" n’aurait pas d’effet sur les tiers et risquerait même de leur donner de fausses indications, contraires aux dispositions de la LEI.
4. Accès à d’autres prestations communales
Seules les prestations relevant de la compétence et du financement de la Ville de Fribourg et de ses partenaires pourraient à notre sens être intégrées dans une carte. Cela pourrait concerner par exemple l’accès aux infrastructures sportives, culturelles et sociales, soit offertes directement par la Ville, soit par ses partenaires subventionnés.
La création d’une telle carte nécessiterait toutefois l’examen attentif de plusieurs aspects. Nous citons principalement ces points:
- Egalité de traitement: pour respecter ce principe, toute personne domiciliée légalement ou résidant de fait sur le territoire communal devrait pouvoir l’obtenir, et pas seulement les étrangers sans droit au séjour;
- Volume: pour éviter de désigner les titulaires comme étranger sans droit au séjour, une diffusion et une utilisation large et effective de la carte par la population sembleraient nécessaires;
- Avantages liés à la carte: une utilisation large suppose une carte attractive, avec des avantages concrets pour les titulaires notamment sur le plan financier (rabais ou gratuité); il s’agirait de lister les prestations possibles et de décider des avantages accordés;
- Coûts: le travail administratif d’établissement et de suivi des cartes ainsi que les avantages financiers liés aux cartes devraient faire l’objet d’une évaluation financière;
- Contrôle du rattachement à la Ville: la délivrance de la carte aux habitants suisses et étrangers légalement domiciliés sur le territoire communal est facile à vérifier grâce aux données du contrôle de l’habitant; en revanche, déterminer si un étranger sans droit au séjour arrive sur le territoire communal, y réside ou le quitte n’est pas simple; il s’agit aussi d’éviter que des personnes (suisses, étrangères avec ou sans droit au séjour) résidant en dehors de la Ville de Fribourg n’obtiennent une carte de manière indue; l’étranger sans droit au séjour devrait donc justifier d’une manière à définir (par ex. présentation d’un contrat de bail, déclaration d’une adresse ou de l’identité d’un logeur) sa situation auprès de la Ville de Fribourg; cela soulève la question de l’application de la Loi cantonale sur le contrôle des habitants; toute mesure de contrôle peut aussi conduire à la renonciation à la carte par crainte des conséquences pour la personne ou des tiers.
Il faut également relever qu’une carte liée à ces prestations perdrait certaines caractéristiques recherchées par les postulants, notamment l’absence de lien direct avec la question du droit au séjour avec la création d’une carte accessible à tout le monde. De même, les aspects de "sécurité" et de "carte d’identité" mentionnés dans le postulat passeraient à l’arrière-plan.
5. Possibilités de collaboration avec d’autres villes
La Ville de Zurich a entrepris des démarches afin de mettre en place une city card qui permet notamment d’obtenir une série d’avantages. Il est prévu que cette carte soit accessible à toute la population, y compris aux étrangers sans droit au séjour résidant à Zurich.
Un projet similaire est également en cours à Berne.
Ces projets sont à leur début. La Ville de Fribourg entend rester en contact avec ces deux villes, afin de suivre l’avancement de ces projets et de pouvoir partager ces expériences. Les enseignements à en tirer pourraient aider la Ville de Fribourg dans ses futures réflexions.
6. Propositions
L’introduction d’une "carte d’identité communale pour la sécurité des sans-papiers" n’est en l’état actuel pas possible sur le plan juridique, la Ville de Fribourg ne disposant pas de compétence dans ces matières.
L’accès aux prestations mentionnées par les postulants (éducation, santé, justice, travail et logement) ne serait pas facilité par une telle carte pour les étrangers sans droit au séjour, soit que ces prestations sont déjà à disposition des personnes visées avec des conditions d’accès réglées par les lois applicables, soit qu’elles échappent à l’influence de la Ville, notamment en relevant des relations de droit privé.
Par ailleurs, une telle carte destinée uniquement aux sans-papiers induirait le risque de donner à cette catégorie de personnes un faux sentiment de sécurité et de légalité.
Toutefois, une carte accessible à l’ensemble de la population résidant en Ville de Fribourg permettant de disposer d’avantages entrant dans les prestations offertes par la Ville peut être envisagée. Dans un premier temps, il semble préférable de connaitre les résultats des projets menés notamment à Zurich et à Berne. Si ces expériences sont positives, la Ville de Fribourg pourrait alors évaluer la mise en place d’un projet spécifique.
La Ville va également sensibiliser son personnel et les institutions partenaires aux prestations accessibles à toute personne résidant sur le territoire communal, y compris aux étrangers sans droit au séjour.
Le postulat n° 127 est ainsi liquidé.