Résumé du postulat
Considérées par l’Union internationale pour la conservation de la nature (UICN), comme étant l’une des causes majeures de la diminution de la biodiversité, les plantes néophytes envahissantes sont des espèces exotiques (non-indigènes), introduites intentionnellement ou non dans un écosystème, qui parviennent à s’établir dans la nature, à proliférer et à se répandre massivement aux dépens des espèces indigènes. L’article 8 de la Convention de Rio préconise de prévenir de nouvelles introductions et de contrôler ou éradiquer les espèces envahissantes déjà établies.
En Suisse aussi, les plantes néophytes envahissantes représentent un réel danger pour la biodiversité. La Confédération instaure une liste des espèces interdites (art. 15 al. 2 et annexe 2 ODE) et impose, pour toutes les espèces ayant un potentiel envahissant ou dommageable, un autocontrôle en vue de la mise en circulation (art. 4 ODE), une information de l’acquéreur (art. 5 ODE) ainsi qu’un devoir de diligence (art. 6 ODE). De plus, le centre national de données et d’informations sur la flore de Suisse a, depuis septembre 2014, de nouvelles listes noires et une nouvelle watch list[1].
En ville de Fribourg, on peut constater la présence d’un nombre important de plantes figurant sur l’une de ces listes, en particulier le laurier-cerise qui jouit d’un quasi-monopole.
Les postulants demandent au Conseil communal d’étudier la possibilité de :
- remplacer les plantes de la liste noire et de la watch list présentes sur le domaine communal par des plantes moins dangereuses ;
- interdire, par exemple dans le RCU, la plantation des espèces figurant sur la liste noire et sur la watch list ;
- conseiller les propriétaires de la ville en vue du remplacement des néophytes envahissantes.
Réponse du Conseil communal
En réponse au postulat n°89, le Conseil communal revient sur :
1. Les plantes indigènes, non indigènes, aérophytes et néophytes
Si les espèces indigènes sont arrivées en Suisse sans intervention de l’homme, soit par colonisation après les dernières glaciations, il n’en est pas de même des espèces non indigènes. Ces dernières regroupent
- les aérophytes, introduites avant 1500 et aujourd’hui encore présentes en Suisse à l’état sauvage. Elles sont considérées alors comme faisant partie de la flore suisse.
- Les néophytes (11% de la flore suisse) quant à elles, ont été introduites après 1500 et sont considérées comme établies ou subspontanées dans notre flore.
Si certaines néophytes sont non problématiques, et présentent même souvent l’attrait de l’exotisme, aux belles couleurs et formes originales, il n’en est pas de même pour les néophytes envahissantes (15% de toutes les néophytes, soit 1.6% de la flore suisse) qui se multiplient en ayant un impact négatif sur la biodiversité en menaçant les espèces en place, pouvant conduire à des problèmes de santé et engendrant des coûts supplémentaires. Au niveau mondial, ces espèces exotiques envahissantes sont considérées comme étant la deuxième cause de la perte de la biodiversité juste après la destruction des milieux par l’homme (UICN).
2. Cadre légal
Les néophytes envahissantes causant actuellement des dommages au niveau de la diversité biologique, de la santé ou de l’économie sont énumérées dans une liste noire, tandis que celles pouvant potentiellement causer des dommages, dont l’expansion doit être surveillée, sont citées dans la watch list. Ces listes sont des aides à la décision permettant de fixer des priorités en matière de prévention et de lutte contre les néophytes envahissantes. Cependant, le cadre légal est régi principalement par l’ordonnance sur la dissémination des organismes dans l’environnement (ODE). 11 plantes sont concernées par l’annexe 2 ODE[2], considérées comme espèces interdites. D’autres lois viennent compléter le cadre légal :
- LPE : la loi sur la protection de l’environnement (RS 814.01) qui définit les précautions à prendre lors d’utilisation d’organismes dans l’environnement (art. 29a) ;
- LPN : la loi fédérale sur la protection de la nature et du paysage (LPN, RS 451) qui régit l’autorisation pour l’acclimatation d’organismes étrangers (art. 23) ;
L’Ordonnance sur la protection des végétaux OPV (RS 916.20) du 27 octobre 2010 définit notamment pour l’ambroisie à feuilles d’armoise, une mauvaise herbe particulièrement dangereuse et nocive, l’interdiction de la détenir, de la multiplier ou de la propager (art. 5). donc une obligation de surveillance (art. 41 et 42), tandis que l’ordonnance sur le Livre des aliments pour animaux OLALA (RS 916.307.1) du 26 octobre 2011 règlemente (art. 19) les quantités maximales de graines d’ambroisie tolérées dans les mélanges pour animaux, soit 0.005% du poids (annexe 10, partie 1).
3. Lutte contre les néophytes en ville de Fribourg
En ville de Fribourg, environ 700 espèces de plantes ont été décrites et observées par des botanistes professionnels (ouvrage « Flore de la ville de Fribourg » 2[i]). Des 700 essences observées en ville de Fribourg, 15 espèces sur les 40 (2014) de la liste noire et 4 sur 16 de la watch list (2014) sont présentes[3]. De la liste des plantes interdites de l’ODE, nous pouvons en retrouver 7 en ville de Fribourg, dont l’ambroisie à feuilles d’armoise, la berce du Caucase, problématique par ses larges feuilles entraînant de l’ombre et diminuant la biodiversité et provoquant des brûlures ou encore les renouées asiatiques. La plupart de ces plantes sont dommageables soit pour la santé humaine, soit pour la biodiversité ou encore l’érosion des sols. En ce sens, le secteur des Parcs et Promenades prend des dispositions nécessaires pour combattre ces plantes interdites légalement. Cependant, les mesures pour lutter contre ces plantes problématiques ne sont pas triviales et si elles ne sont pas entreprises correctement, leur lutte peut s'avérer contre-productive. Selon l’espèce, les Parcs et Promenades, pour s’assurer de son efficacité, doivent veiller à effectuer les mesures selon des données précises (période, moyens, élimination du matériel, suivi, etc.) et avec rigueur.
Malheureusement, leurs efforts sont souvent vains, notamment par le fait que certaines plantes se situent sur le domaine privé et se disséminent ensuite, là où le levier d’action directe de la Commune est limité.
L’interdiction d’utilisation de produits phytosanitaires selon ORRChim[4] dans de nombreux milieux où les néophytes envahissantes prolifèrent empêche la lutte chimique, qui constitue souvent le moyen le plus économique et le plus efficace. Des exceptions sont certes possibles dans certains cas pour des traitements plante par plante selon l’annexe 2.5, point 1.2 de l’ORRChim, mais pas en bordure de forêt et des cours d’eau. Pourtant, en cas de traitement au glyphosate tige par tige, la méthode d’application très ciblée et les caractéristiques éco-toxicologiques du produit permettent de limiter considérablement les risques de contamination des eaux ou du sol.
4. Les prochaines étapes que compte suivre le Conseil communal
Afin de poser les bases d’un plan de mesures, deux actions sont en cours :
D’abord, l’évaluation des habitats écologiquement importants sur le domaine communal, qui aidera à prioriser les sites pour lutter contre les néophytes envahissantes et à sensibiliser, de manière ciblée, les propriétaires privés. De manière spécifique, les efforts pourront être entrepris là où des biotopes notoires sont présents, là où les néophytes menacent des espèces indigènes rares ou dans les endroits où il est à présumer que les efforts déployés aboutissent à un succès.
De plus, le Conseil Communal a accepté, dans le cadre de son postulat no 42, d’évaluer le vert urbain via la première phase du programme Villeverte. Celui-ci va pouvoir, en ce qui concerne les plantes néophytes envahissantes, ouvrir la discussion avec les acteurs de la ville sur divers points, notamment :
- La possibilité de mettre en place un concept contenant des plans de mesures concrets pour la lutte contre les néophytes en priorisant les habitats et surfaces qui auront été identifiés comme particulièrement sensibles ou dignes d’être protégés.
- La possibilité de renoncer aux plantes potentiellement problématiques figurant sur la liste noire ou de les remplacer.
- La possibilité d’intégrer au cadastre ou sur le site d’Infoflora une cartographie des sites peuplés par des néophytes envahissantes.
- Le choix d’indicateurs afin d’évaluer l’efficacité des luttes mises en pratiques et mettre en place un réseau de surveillance.
Cette étape permettra également de réfléchir aux outils adéquats afin de sensibiliser de manière appropriée les acteurs intervenant dans le terrain (forestiers, jardiniers, etc.).
De plus, la Ville de Fribourg, via le bulletin communal « 1700 » ou son petit lexique des « Trucs et astuces pour son jardin privé »[5] a déjà donné à plusieurs reprises des informations concernant ces plantes problématiques et compte continuer à sensibiliser le public et à collaborer avec les associations de la Ville ou les institutions telles le Jardin botanique initiant des actions qui pourrait contribuer à une sensibilisation plus large sur ce thème.
Ensuite, bien que le postulat ne parle que des plantes envahissantes et non pas des autres organismes, la Ville de Fribourg compte également déployer des actions contre d’autres espèces, notamment la coccinelle asiatique, l’arrivée très probable de l’écureuil gris ou les problèmes du papillon nocturne invasif venu d’Asie et s’attaquant aux plantations de buis (Cydalima perspectalis, Pyrale du buis). Des actions de terrain menées depuis plusieurs années par le secteur des Parcs et Promenades et des mesures de sensibilisation par le secteur Energie et développement durable ont déjà été initiées.
Les espèces néophytes envahissantes risquent de poser un problème grave à très court terme sur la santé, la sécurité, la biodiversité et l’agriculture. Les coûts relatifs à leur gestion peuvent augmenter considérablement si aucune action n’est entreprise. Ainsi, la Ville de Fribourg souhaite continuer son effort sur la gestion de ces néophytes problématiques, en intégrant selon les résultats des prochaines études en cours, des mesures de lutte spécifique. Cependant une telle lutte spécifique préventive et active ne peut être efficiente que si elle est coordonnée au niveau régional, voire de manière plus étendue. C’est pourquoi il est prévu de se coordonner avec l’Agglomération et le Canton afin de parvenir à une gestion appropriée et de mettre en place des indicateurs de suivi pertinents et reproductibles également au niveau régional.
Dans l’intervalle et afin d’agir de manière locale, le Conseil communal souhaite initier une lutte contre les plantations de plantes envahissantes. Dans le cadre d’oppositions formulées lors de l’enquête publique du PAL concernant cette thématique, il se réinterroge sur la possibilité d’introduire des éléments supplémentaires à la réglementation afin de réaliser cet objectif.
5. Le cas particulier du laurier-cerise
Le laurier-cerise est une plante d’ornement de massif qui a été largement utilisée dans de nombreuses villes d’Europe. Ses avantages sont incontestablement sa capacité d’absorption du CO2, son feuillage persistant, sa hauteur adéquate en remplacement de murets, son utilisation intéressante pour délimiter les propriétés. Il est un arbuste très résistant face aux contraintes fortes du milieu urbain, notamment lors de l’utilisation du sel en service hivernal pour assurer la sécurité des piétons et lors des fortes chaleurs mettant à rude épreuve les végétaux plus fragiles. Son entretien est très facile ce qui limite des dépenses écologiques et économiques tout en favorisant, par une structure intéressante, certains insectes telles les araignées et favorisant ainsi dans une certaine mesure la biodiversité locale. De plus, il est à mentionner que cet arbuste ne figure pas dans la liste des espèces interdites de l’ODE et est encore donc largement populaire auprès des centres horticoles. Ces éléments font que cet arbuste a donc été, en ville de Fribourg et au vu de ces avantages, une plantation considérée comme « idéale ».
Cependant, même si cet arbuste ne figure pas sur la liste de plantes interdites légalement, il est mentionné comme arbuste problématique par Infoflora, la base de données de référence en Suisse.
Originaire des régions ouest asiatiques et sud-est européennes, il a le potentiel de coloniser des haies, des lisières et les forêts. Bien que le secteur des Parcs et Promenades veille scrupuleusement à éradiquer toute jeune pousse potentielle dans les forêts, et malgré le fait que cet arbuste est très contenu dans le milieu urbain vu qu’il n’orne pratiquement que des massifs non connectés avec les habitats extérieurs qui pourraient être colonisés, le risque ne peut être complètement exclu, en particulier dans un contexte de changement climatique. Ainsi, la Ville de Fribourg souhaite anticiper cette problématique en favorisant d’autres plantations là où cela est possible ou lors de nouvelles plantations.
Le postulat n° 89 est ainsi liquidé.
[1] Watch List/Liste d'observation : Liste des néophytes envahissantes possédant, selon les connaissances actuelles, un potentiel de propagation modéré à fort en Suisse et causant des dommages modérés ou forts au niveau de la diversité biologique, de la santé et/ou de l'économie. La présence et l'expansion de ces espèces doivent être surveillées, et des connaissances supplémentaires sur ces espèces doivent être réunies.
[2] Voir annexe : ODE, annexe 2 (art. 15, al. 2), organismes exotiques envahissants interdits
[3] Voir annexe : Liste Noire - Watch List 2014
[4] Ordonnance sur la réduction des risques liés aux produits chimiques, ORRChim
[5] Voir annexe: Le petit lexique de la Ville « Trucs et astuces pour son jardin privé » - FR/DE
2 Purro, C., Kozlowski, G., Chassot, I., Achermann, M., Müller-Schärer, H., Schoepfer, R., ... & Müller-Schärer, H. (2003). Flore de la ville de Fribourg. Ed. universitaires: Société fribourgeoise des sciences naturelles.