M. Mendez (Vert·e·s)
Question
En tant que propriétaire, Bluefactory Fribourg – Freiburg SA (BFF SA) a lancé l’appel d’offres pour la recherche d’un investisseur apte à élaborer et réaliser un concept global sur l’utilisation et l’urbanisme du "périmètre C" du site de blueFACTORY. Suite à la lettre ouverte de plusieurs associations professionnelles telles que la SIA, nous nous permettons d’adresser les questions suivantes:
- Bluefactory Fribourg – Freiburg SA (BFF SA) est une société anonyme appartenant exclusivement à des entités publiques, le Canton de Fribourg et la Ville de Fribourg. Dès lors ne devrait-elle pas se soumettre volontairement aux principes de la loi fédérale des marchés publics (LMP), respectivement suivre lesdites procédures ce qui ne semble pas être le cas au vu des déclarations faites publiquement par certaines associations? Devons-nous en conclure que, pour échapper à ses obligations et aux dispositions de la LMP, il suffit à une entité publique de créer une société anonyme?
- L’appel d’offres s’adresse à des investisseurs suisses disposant de ressources et de références nécessaires pour établir un concept de développement et organiser un concours d’architecture. Pourquoi déléguer l’établissement du concept de développement et l’organisation d’un concours d’architecture à des privés sachant que ces derniers vont avec une forte probabilité – en raison de leur modèle d’affaire – privilégier la rentabilité économique, au détriment des enjeux socio-environnementaux et des besoins adaptés au lieu ?
- La charte d’utilisation du site blueFACTORY admet au chapitre 6 des surfaces dédiées pour des commerces de proximité ou des services spécialisés entrant dans une catégorie de produits compatibles avec la mission et l’image du site ou apportant une valeur ajoutée. Comment cet aspect est garanti si le développement et l’exploitation – à savoir la mise en location des surfaces – sont réalisés par des investisseurs privés? Est-ce que BFF SA ou les deux actionnaires publics ont un droit de regard sur les futurs locataires? Si oui, comment? Si non, pourquoi?
- La charte d’utilisation du site blueFACTORY admet au chapitre 6 des surfaces dédiées aux logements favorisant des modèles d’habitation innovants et expérimentaux. Comment la procédure mise en place dans le cadre de cet appel d’offres garantit des modèles d’habitation innovants et différents de ceux que les investisseurs privés ont l’habitude de réaliser, qui tendent à une standardisation du logement - ne répondant pas à des besoins spécifiques, tels que des logements adaptés aux séniors ou encore des logements de type colocation avec des espaces communautaires, etc?
- BlueFACTORY étant un site en mains publiques, les futurs logements devraient assurer une mixité sociale afin de répondre à certains objectifs du développement durable, notamment celui qui vise à ce que les villes, et par conséquent les quartiers soient ouverts à tou·te·s. De ce fait, une partie des logements devrait être rendue accessible par des loyers abordables. Comment assurer des loyers abordables lorsque ce sont des tiers, cherchant le meilleur rendement possible, qui développent, réalisent et gèrent le bâti? Est-ce que le Conseil d’administration de BFF SA ou au moins la Ville ou le Canton a imposé un taux d’appartements à loyers faibles? Si non, pourquoi?
- Dans le communiqué de presse daté du 12 janvier 2022, il est mentionné que le comité d’évaluation est composé de six personnes au bénéfice de compétences en architecture et ingénierie. Il est de coutume dans les mises au concours que les utilisateurs soient également représentés dans le comité d’évaluation. Pourquoi n’y a-t-il pas de représentants politiques dans le comité d’évaluation, permettant de défendre la vision publique du site? Constatant qu’il n’y a que des personnes au bénéfices de compétences d’architecture et d’ingénierie, n’aurait-il pas été judicieux d’étoffer les compétences, notamment du point de vue social avec un·e sociologue-urbaniste ou encore un·e spécialiste de gestion de quartier?
- Quels sont les critères d’aptitudes et d’adjudication ainsi que leurs pondérations respectives? Les critères d’adjudication favorisent-ils l’offre financière la plus intéressante ou au contraire la qualité tant au niveau social qu’environnemental du futur développement des parcelles est-elle prise en considération? Si oui, comment? Si non, pourquoi?
- Fort de ce qui précède, la question de fond est la suivante: peut-on privatiser la vision du bien public?
Réponse du Conseil communal
- Bluefactory Fribourg – Freiburg SA (BFF SA) est une société anonyme appartenant exclusivement à des entités publiques, le Canton de Fribourg et la Ville de Fribourg. Dès lors ne devrait-elle pas se soumettre volontairement aux principes de la loi fédérale des marchés publics (LMP), respectivement suivre lesdites procédures ce qui ne semble pas être le cas au vu des déclarations faites publiquement par certaines associations? Devons-nous en conclure que, pour échapper à ses obligations et aux dispositions de la LMP, il suffit à une entité publique de créer une société anonyme?
L'appel d'offres en question n'est pas un appel d'offres pour une entreprise générale ou une entreprise spécialisée, mais pour le choix le plus approprié d’un investisseur-développeur bénéficiaire de droits de superficie. Celui-ci sera ensuite responsable du développement de cette partie du site, du concours d'architecture et également de l'appel d'offres et de l'attribution des prestations de construction.
Nous relevons que l’article 10 let. B LMP (2019) stipule clairement que l’acquisition, la location et le bail de terrains, de constructions et d’installations ainsi que des droits correspondants ne sont pas soumis à la LMP/OMP. En d’autres termes, un appel d’offres est public quand il y a achat de biens ou de prestations, non pas quand on les vend.
Dans la procédure établie, la forme non anonyme a été privilégiée et se justifie pleinement pour choisir consciencieusement le voisin avec lequel cohabiter pendant 80 ans, ceci afin de garantir les intérêts des collectivités publiques actionnaires de la société.
- L’appel d’offres s’adresse à des investisseurs suisses disposant de ressources et de références nécessaires pour établir un concept de développement et organiser un concours d’architecture. Pourquoi déléguer l’établissement du concept de développement et l’organisation d’un concours d’architecture à des privés sachant que ces derniers vont avec une forte probabilité – en raison de leur modèle d’affaire – privilégier la rentabilité économique, au détriment des enjeux socio-environnementaux et des besoins adaptés au lieu?
Les capitaux nécessaires pour un développement propre du périmètre C sont de l’ordre de CHF 200 millions. De ce fait, les deux actionnaires de BFF SA ont pris très tôt la décision que ce périmètre allait être mis à disposition d’investisseurs via un modèle de DDP, qui permet de limiter drastiquement les risques pour BFF SA, que cela soit en termes financiers (liquidités et taux d’occupation) ou capital humain (capacités et compétences).
La société BFF SA est au bénéfice d’une charte d’utilisation du site qui décrit et définit les critères à appliquer pour la sélection des projets, des utilisateurs et entreprises qui sont et seront accueillis sur le site, leurs engagements environnementaux, mais également une identité de quartier par son intégration urbaine. L’investisseur choisi devra se conformer à la charte, de même qu’au plan d’affectation cantonal (PAC). En outre, BFF SA établira une convention avec l’investisseur choisi. Cette dernière sera contraignante sur des aspects environnementaux (gestion des eaux, production de chaleur, etc.) et sociaux (ex. coopérative d’habitation).
En résumé, la société envisage de recourir à un ou des partenaires investisseurs de sorte à porter avec lui ou avec eux le développement du quartier selon le PAC, la charte d’utilisation du site blueFACTORY et la convention ad hoc, afin de garantir un développement harmonieux tout en limitant les risques financiers pour la société et indirectement pour ses actionnaires.
- La charte d’utilisation du site blueFACTORY admet au chapitre 6 des surfaces dédiées pour des commerces de proximité ou des services spécialisés entrant dans une catégorie de produits compatibles avec la mission et l’image du site ou apportant une valeur ajoutée. Comment cet aspect est garanti si le développement et l’exploitation – à savoir la mise en location des surfaces – sont réalisés par des investisseurs privés? Est-ce que BFF SA ou les deux actionnaires publics ont un droit de regard sur les futurs locataires? Si oui, comment? Si non, pourquoi?
Le triptyque PAC / Charte / Convention ad hoc vont nous permettre de promouvoir la mission et l’image du site au travers des futurs locataires.
- La charte d’utilisation du site blueFACTORY admet au chapitre 6 des surfaces dédiées aux logements favorisant des modèles d’habitation innovants et expérimentaux. Comment la procédure mise en place dans le cadre de cet appel d’offres garantit des modèles d’habitation innovants et différents de ceux que les investisseurs privés ont l’habitude de réaliser, qui tendent à une standardisation du logement - ne répondant pas à des besoins spécifiques, tels que des logements adaptés aux séniors ou encore des logements de type colocation avec des espaces communautaires, etc.?
La procédure d’appels d’offres mise en place va permettre de garantir la sélection d’un investisseur démontrant une capacité d’innovation compatible avec le triptyque précité. Néanmoins, BFF SA est très intéressée, au vu des défis que représente l’innovation dans le logement, à mettre en place une démarche participative sur le sujet, démarche qui devrait permettre d’élaborer plus en détail la charte et, par conséquent, d’alimenter la convention ad hoc.
- BlueFACTORY étant un site en mains publiques, les futurs logements devraient assurer une mixité sociale afin de répondre à certains objectifs du développement durable, notamment celui qui vise à ce que les villes, et par conséquent les quartiers soient ouverts à tou·te·s. De ce fait, une partie des logements devrait être rendue accessible par des loyers abordables. Comment assurer des loyers abordables lorsque ce sont des tiers, cherchant le meilleur rendement possible, qui développent, réalisent et gèrent le bâti? Est-ce que le Conseil d’administration de BFF SA ou au moins la Ville ou le Canton a imposé un taux d’appartements à loyers faibles? Si non, pourquoi?
Ni dans la charte des actionnaires, ni dans la convention d’objectifs de la post-recapitalisation signée le 7 mars 2022 avec le Canton et la Ville, ne sont mentionnés des besoins de logements à loyers abordables dans la mesure où ces éléments-là seront plutôt réalisés dans d'autres périmètres dans la ville, mais pas sur le site de blueFACTORY.
- Dans le communiqué de presse daté du 12 janvier 2022, il est mentionné que le comité d’évaluation est composé de 6 personnes au bénéfice de compétences en architecture et ingénierie. Il est de coutume dans les mises en concours que les utilisateurs soient également représentés dans le comité d’évaluation. Pourquoi n’y a-t-il pas de représentants politiques dans le comité d’évaluation, permettant de défendre la vision publique du site? Constatant qu’il n’y a que des personnes au bénéfices de compétences d’architecture et d’ingénierie, n’aurait-il pas été judicieux d’étoffer les compétences, notamment du point de vue social avec un-e sociologue-urbaniste ou encore un-e spécialiste de gestion de quartier?
En date du 5 octobre 2021, BFF SA a fait la demande auprès de la DAEC (aujourd’hui DIME) pour inclure l’architecte cantonal dans le comité d’évaluation dès la phase 1. L'Etat a toutefois décliné cette possibilité dans la phase 1.
La Ville de Fribourg, quant à elle, a explicitement décidé de mettre à disposition une ressource à partir de la phase 2 de l’appel d'offres en cours, phase qui déterminera le lauréat de la procédure. Dans la foulée, le Canton mettra également une ressource à partir de la phase 2.
Pour la détermination définitive du comité, nous prendrons en compte vos suggestions pertinentes sur le profil des panélistes.
- Quels sont les critères d’aptitudes et d’adjudication ainsi que leurs pondérations respectives? Les critères d’adjudication favorisent-ils l’offre financière la plus intéressante ou au contraire la qualité tant au niveau social qu’environnemental du futur développement des parcelles est-elle prise en considération? Si oui, comment? Si non, pourquoi?
Pour la phase 1, les critères sont les suivants:
N° | Critères | Pondération |
1. | Organisation, capacité et ressources | 50% |
1.1. | Adéquation de la composition de l'équipe au projet. | 25% |
1.2. | Qualification des personnes-clés désignées pour l'exécution du marché. | 25% |
2. | Références | 50% |
2.1. | Qualité des références en termes d'échelle, de complexité et de comparabilité du présent projet. | 30% |
2.2. | Références de capacité d'innovation et de maîtrise du développement durable. | 20% |
Total | 100% | |
Tableau 1 - Critères d'aptitude phase 1 procédure de sélection |
Pour la phase 2, les critères sont les suivants:
N° | Critères | Pondération |
1. | Offre financière droit de superficie | 50% |
1.1. | Offre financière de rente de droit de superficie, y compris la proposition du début du paiement et la proposition pour la réversion à l'expiration du droit de superficie. | 50% |
2. | Procédures prévues | 50% |
2.1. | L'adéquation de la procédure de planification qualifiée proposée pour atteindre les objectifs du projet. | 10% |
2.2. | Qualité de la mixité des activités proposées, complémentaires à la stratégie de blueFACTORY. Contribution à une vie sociale sur le site par le choix d'activités attrayantes. Intégration d'éléments d'innovation. Lien au patrimoine bâti. | 20% |
2.3. | Contribution du candidat au développement d'un cartier durable, lié aux thèmes et critères du Standard SNBS. | 20% |
Total | 100% | |
Tableau 2 - Critères d'adjudication phase 2 appel d'offre, sous réserve de modification éventuelles |
- Fort de ce qui précède, la question de fond est la suivante: peut-on privatiser la vision du bien public?
Cette question est plutôt d'ordre philosophique et nous ne pouvons pas y répondre. Tout cela dépend de l'interprétation que l'on a du bien public et de son application. Je dirais simplement que le monde est parfois moins simple que les gens ne l'imaginent et il n'est pas divisé en noir et blanc, ni en méchants et gentils, ni privé ou public. Je prends pour exemple le parc de Pumalin au Chili de plus de 300 km2 qui a été acquis par un privé. C'est un Américain richissime qui a décidé d'acheter ces terrains pour les préserver et les offrir à la postérité, comme un parc national de préservation naturelle.